The Social Network

David Fincher, réalisateur au fait de la modernité…Facebook, réseau social également au fait de la modernité… The Social Network, grand film au fait de la modernité. Par ces trois allégations, il est bon de reconnaître que ce film va marquer une date dans le paysage cinématographique mondial des années 2000.

Comme le dernier film de Gregg Araki, Kaboom et son utilisation de la technologie moderne, non seulement dans sa représentation mais également dans la logique de construction même du film, force est de reconnaître la grande vitalité du cinéma américain en ce qui concerne la prise de conscience historique immédiate du moment. The Social Network est en direct avec l’actualité et fait figure de témoignage documentaire tout à fait pertinent sur le troisième millénaire. Il renoue ainsi avec cette grande qualité qu’a le cinéma américain d’être souvent réactif immédiatement à la société. Notons que, généralement, le cinéma en tant qu’art doit être associé à son contexte de réalisation. Mais The Social Network va encore plus loin en tentant la représentation de quelque chose de gigantesque, de mondial, de puissant, d’actuel (Facebook ne présente, pour le moment, aucun signe de dépérissement). Le contexte est tout simplement trop fort. Nous sommes d’une certaine façon loin de quelconque considération pseudo-philosophico-générationnelle sur tel sujet, loin d’un effleurement de manière superficielle, loin d’une métaphorisation qui pourrait nous échapper, loin d’un rapport passé / présent / futur. The Social Network est plus qu’une représentation de l’actualité. Il est l’actualité.

Mais ce qui fait de ce long-métrage un grand film, c’est que Facebook n’est pas le seul sujet du film même si le spectateur est au cœur de la genèse du projet et de son évolution. Au fur et à mesure du déroulement du récit, David Fincher, en grand conteur qu’il est, extrapole son propos pour aller vers quelque chose de plus universel. Il développe des thématiques toutes plus humaines les unes que les autres et individualise son film. L’informatique, le virtuel ne sont pas le corps du film mais seulement son leitmotiv. Les personnages ont gagné le droit d’être crédibles voire attachants. Trahison, amitié, jalousie, frustration, solitude sont autant de motifs qui viennent innerver le film dans une mise en scène clinique qui radioscopie la vie d’un homme qui a voulu se voir comme le valet qui veut prendre la place du roi, ou celle d’un génie utilisé à mauvais escient.

Mais surtout, David Fincher, comme il a su le faire dans le reste de sa filmographie, dézingue une certaine idée du rêve américain en représentant le parcours du milliardaire le plus jeune du monde. Il ne faut pas oublier que selon les vœux des Pères Fondateurs en général, et de Thomas Jefferson en particulier, l’utopie américaine se construit selon la poursuite du bonheur et non selon la poursuite de la richesse. Le rêve américain ne se gagne pas à grands coups de millions (milliards ?) de dollars. C’est pourtant ce que le héros n’hésite pas à faire, trahissant des collègues, construisant son succès sur une frustration initiale purement adolescente et n’hésitant pas à s’installer en Californie, dans la fameuse Silicon Valley qui joue son rôle de parfait espace iconique. Le  héros, à la vue de son propre génie et du succès de son invention, se serait-il vu trop beau ? La réponse de Fincher est bien évidente, comme en témoigne le magnifique dernier plan du film, répondant parfaitement à la séquence d’ouverture et enfermant le héros dans son mal-être par la seule force de la mise en scène – même s’il ne faut pas oublier une musique originale aux sonorités industrielles composée par Trent Reznor, immense musicien de Nine Inch Nails qui donne un aspect thriller au métrage.

David Pincher, cinéaste politique ? Sûrement. David Fincher, cinéaste farceur ? Assurément. Et c’est par son casting qu’il faut, tout d’abord s’en rendre compte. Comment ne pas voir une subtile ironie dans la volonté de faire de Justin Timberlake, l’une des plus grandes stars de la musique, le concepteur de Napster, l’ancêtre du téléchargement illégal ? Il nous refait par la même, un coup identique à celui de The Fight Club et Brad Pitt en Tyler Durden. Cela ne pourrait tenir qu’à certain clin d’œil mais le cinéaste va plus loin en étant farceur, donc, mais au sens méchant du terme. David Fincher arrive, dans la première partie du long-métrage, à réinventer le film de campus. Bien entendu, les scènes de beuverie irresponsable sont bien présentes, les chocs entre les jolis jeunes gens beaux, sportifs, riches, doués scolairement et les vilains petits canards répondent également au cahier des charges. Mais le cinéaste renverse cette certaine mouvance par un double refus. Refus, premièrement, de mettre en scène le campus comme lieu de vie, de révolte et d’affrontement à ciel ouvert. Le spectateur reste constamment dans le cloisonnement d’une chambre, d’un amphithéâtre, voire d’un garage à vélo. Refus, deuxièmement, de libérer une quelconque empathie envers le héros, autrefois gentil geek eu grand coeur. Ce dernier est bien un salopard, tout aussi détestable que ses adversaires. C’est une certaine idée du romantisme que David Fincher condamne en nous livrant une vision cruelle des rapports humains dans cette société numérique, société qui veut que la communication soit beaucoup plus facile mais qui reste quand même bien égoïste. Mais attention, David Fincher ne condamne pas l’outil Facebook. Il remarque seulement que, parfois, une bonne idée peut venir d’une mauvaise intention.

Il faut, pour cela, remercier le scénariste qui offre une exceptionnelle qualité de dialogues, le metteur en scène qui arrive à construire son film entre passé et présent et aux acteurs qui livrent une grande finesse d’interprétation. Tout cela donne au film un rythme soutenu qui fait que jamais l’ennui ne vient guetter le spectateur, malgré, une certaine technicité de quelques dialogues (n’est pas informaticien qui veut). Certaines scènes valent assurément le détour (si ce n’est le film entier) tant elles sont hallucinantes. Et à chaque fois que le spectateur pourrait sentir une légère baisse de rythme, d’intensité, David Fincher introduit soit de nouveaux personnages (l’arrivée de Justin Timberlake par exemple) de manière flamboyante, soit de nouvelles situations (l’épisode en Angleterre, entre autres, il ne faut pas non plus spoilier le film).

Avec The Social Network, David Fincher passe clairement au stade supérieur et livre un film d’un grand classicisme. Et grâce au discours qu’il propose, il fait non seulement acte de la grande richesse du film mais permet également de revenir sur sa filmographie, souvent considérer comme techniciste, alors qu’il cherche juste à nous parler d’une Amérique en manque d’utopie salvatrice.


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